Au premier regard, on comprend rapidement que l’œuvre d’Anna Malagrida est de celles qui convoquent les sensations. Sans précipitation, les gestes captés sont lents, les mouvements infimes. Il y a une certaine distance dans la représentation, qui pourrait s’apparenter à du romantisme. Les paysages sont d’une beauté aride presque sensuelle. À contre-courant, dans une époque où règnent distanciation et digitalisation, la photographe cherche à nous faire établir un rapport physique à l’image, à littéralement entrer en elle. Les formats et les procédés contribuent à cet enveloppement. Si ce besoin immédiat d’établir un contact peut être naïvement attribué à la nature méditerranéenne de l’artiste, il s’explique avant tout par la conception de son propre travail qui se place autant dans le champ de l’expérimentation sensible que conceptuelle. Sa lecture du monde en est ainsi.


Ce qui nous est montré, se lit a priori sans encombre. La démarche d’Anna Malagrida relève de la traduction : à l’écoute de chacun des murmures du monde, elle reporte ce qu’elle voit. Photographies et vidéos sont le fruit de phases d’observation accrue. Son processus de travail intègre systématiquement la prise en compte de données factuelles, historiques sur le paysage et sur l’environnement socioculturels. Comme pour un chercheur, un explorateur ou un ethnologue, il s’agit avant tout de regarder autour de soi. En laissant de côté tout point de vue préétabli ou pensée critique liminaire, elle part de zéro, de sa seule observation. Seulement, voilà, contrairement aux scientifiques, l’artiste fuit les certitudes. Elle lui préfère la métaphore. Derrière une sobriété apparente se cachent des significations multiples et une lecture à tiroirs, plus complexe que ce qui est donné à voir au premier abord. La charge symbolique vient ainsi décupler la puissante efficacité des images.


D’où nous parle Anna Malagrida ? Tantôt de l’Espagne, de là où elle vient, tantôt de la France, de là où elle vit. Finalement, de n’importe où il y a une opportunité de penser l’espace à travers l’image. Dans la Province de Valence, dans sa Catalogne natale, comme au milieu de notre Bassin Minier, chaque lieu traversé est considéré comme un témoin. Les restes et les traces prélevés sur chaque espace traversé constituent les déclencheurs et forment le cœur même de la réflexion. D’ailleurs, à la manière ancestrale, ici, on ne parle pas de lieu, on parle de terre.


En parallèle de cet attachement à la terre qui traverse les œuvres, il y a une cohérence dans la façon de traiter le temps. Dans les images animées comme dans les compositions fixes, on distingue un début et une fin. Le caractère narratif est d’ailleurs certainement à l’origine d’un attrait pour la vidéo et du glissement de la photographe vers ce médium. Mais on a la sensation qu’ici on se refuse au vide, et qu’une fois l’issue atteinte, on recommence. L’idée du cycle est prégnante, « La Pierre du Diable », l’artiste a la pensée circulaire. Elle n’hésite pas à bouleverser les rythmes naturels et l’ordre établi. Boucle imperceptible, avance rapide ou discret rembobinage, Anna Malagrida exploite les possibilités techniques pour se faire maître du temps. Une façon de régler ses comptes avec la mémoire. Et de résister.


Anna Malagrida ne lutte pas contre le temps par peur de l’avenir ou par nostalgie. Cette posture est davantage une remise en cause voire un rejet de notre système actuel. L’ère de la marchandise, qui produit à toute vitesse pour mieux détruire. L’absurdité de notre époque l’a convaincue de s’attacher à la pérennité, à ce qui reste, en réaction à l’Anthropocène. Face aux œuvres, nous sommes ce balayeur soulevant ses tonnes de poussière dans « Le Poids des Cendres ». Unique présence humaine de l’exposition, le pauvre Sisyphe des temps modernes fait face à la désillusion et à une réalité plus que décevante. En écho aux paradoxes de toute une humanité, ici, des questionnements métaphysiques s’entrechoquent à la légèreté du monde. Anna Malagrida n’a pas peur des contrastes déroutants. Citons la fumée rouge de « La Frontière » qui renvoie, dans le même temps, aux Correfocs des fêtes populaires catalanes et au passé douloureux de la guerre de Cent Ans. Même si elle y fait souvent référence dans sa forme populaire et traditionnelle, ce n’est pas la fête qui l’intéresse, mais le goût amer de son lendemain.


Au fin fond de ces milieux rocailleux, arides ou montagneux, Anna Malagrida fait l’état des lieux de traces, comme si elle prélevait des résidus, collectait des témoignages : elle fait parler les cendres. Dans cette pièce exclusivement produite pour le CRP/, « Archives de Charbon », elle assemble des photographies d’archives de terrils pour créer un horizon nouveau sur les ruines du passé lourd et noir de charbon du Bassin Minier. La cordillère irréaliste met en avant l’aspect géométrique et presque ludique de ces massifs nés de la main et du labeur des hommes. Encore de la poussière… Et sous le sol, les veines de charbon s’étalent sur le mur mesurant le poids de l’invisible sur le visible.


Poussière, fumée rouge ou encore imbroglio de troncs d’arbres viennent barrer notre regard. Anna Malagrida impose régulièrement ce type de fi ltres dans sa photographie. Ces contraintes visuelles rappellent les vitres et les fenêtres utilisées dans les séries précédentes. Le chaos des branchages de la « Fageda d’en Jordà »5 n’est pas un effet de camouflage, ni un artifice. Mais une suggestion pour nous laisser nous approprier ce qu’il y a dans le cadre et au-delà. Avec cette nature primitive et envahissante, la photographe (r)établit un rapport élémentaire à la perception. En perturbant la lecture, les photographies nous amènent paradoxalement à plus de clairvoyance sur le monde qui nous entoure et ce que nous sommes. Artiste du double et du trouble, Anna Malagrida aime faire jaillir des mêmes supports, les faits et les mythes, le tangible et le fugace, le fragile et le tenace. Dans ces entre-deux se loge une pensée qui ne sait voir qu’au-delà des évidences.


Anna Malagrida, née à Barcelone en 1970, photographe et vidéaste, vit à Paris. Dans son travail, elle interroge l’image dans la ville contemporaine et le paysage en posant son regard sur ceux qui y vivent ainsi que sur les traces de ceux qui les traversent. Après avoir fait des études de journalisme, elle s’oriente vers la photographie. Diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en 1996, elle est lauréate du prix au projet des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles en 2005. Dans le cadre de la Carte Blanche PMU en 2016, elle réalise une exposition individuelle dans la galerie des photographies du Centre Pompidou. Elle présente des expositions personnelles dans de nombreuses institutions telles que La Filature de Mulhouse en 2023, le Musée d’art moderne de Valence/IVAM en 2019, le Museum d’Art Moderne de Tarragone en 2018, le Musée d’Art Contemporain de La Corogne en 2016 ou le Frac PACA en 2015. En 2010, la Fondation Mapfre lui consacre une exposition qui voyagera au Centre Photographique d’Ile-de-France et à La Palazzina de Modène en Italie en 2011. Elle a participé à divers projets collectifs. En 2021, elle est lauréate de la commande du CNAP 3.0 qui, en partenariat avec Le Jeu de Paume, expose ses travaux au Cellier de Reims en 2022. Elle a participé à la Kunstfilmbiennale de Cologne, à la Bienal fotográfica de Bogotá, ainsi qu’à des expositions collectives au Fotomuseum de La Haye, au Centre d’Art Santa Mònica à Barcelone, au CAAC à Séville, au CAPC à Bordeaux, au Stenersen Museum à Oslo, au National Museum of Photography Den Sorte Diamant à Copenhague, au Kulturhuset à Stockholm ou au Wolfsburg KunstMuseum, parmi d’autres. Elle est représentée par les galeries RX (Paris), Von Rosen (Cologne) et Senda (Barcelone).



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Archives expositions personnelles (M)

L’art qui dialogue avec l’environnement

Anna Malagrida, Ce qui demeure

CRP Douchy-les-Mines

04.03 - 11.06.2023




 







 




 

 












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Le texte de Audrey Hoareau, commissaire de l’exposition et directrice du CRP


« Le voir précède le mot. C’est la vue qui marque notre place dans le monde : les mots nous disent le monde, mais les mots ne peuvent pas défaire ce monde qui les fait. Le rapport entre ce que nous voyons et ce que nous savons n’est jamais fixé une fois pour toutes. » John Bergerr


L’exposition inédite proposée par le CRP/ synthétise plusieurs thématiques caractéristiques de l’œuvre d’Anna Malagrida. L’ensemble des photographies et vidéos présenté aborde, dans un dialogue équitable, des questions récurrentes, soulevées depuis le début de son parcours, comme la mémoire, la trace, l’origine ou la permanence. Ce qui demeure appréhende aussi les aspects fondamentaux d’une œuvre qui ne se donne pas.







 





































































 













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Gilles Aillaud

Important



Marika Prévosto

À

sandie hatem

jul 1 à 2h10 PM

Gilles Aillaud, Le silence sans heurt du présent

En coproduction avec les Musées des beaux-arts de Rennes et de Saint-Rémy de Provence, cette rétrospective parrainée par la Fondation d’Entreprise Michelin est la première grande exposition consacrée à l’artiste depuis 10 ans. Une cinquantaine de tableaux provenant de grandes collections publiques et privées seront exposés au FRAC Auvergne.























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Exposition du 10 décembre 2016 au 05 mars 2017.
Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes – 06570 Saint-Paul de Vence. Tél. : +33 (0)4 93 32 81 63. Ouverture tous les jours de 10h à 18h.

Exposition du 10 décembre 2016 au 30 mars 2017.

Espace de l’Art Concret, château de Mouans – 06370 Mouans-Sartoux. Tél. : +33 (0)4 93 75 71 50. Ouverture du mercredi au dimanche de 13h à 18h.

À l’Espace de l’Art Concret, mettant en jeu le concept d’art total dans C’est à vous de voir..., , Pascal Pineau investit les espaces du Château pour en retrouver la fonction originelle, interrogeant la valeur d’usage des œuvres. Expérimentant les limites du décoratif et de l’ornemental, il ouvre un dialogue entre pièces issues de l’artisanat, du design, objets de brocante et œuvres d’art ‘proprement dites’. Ainsi, les salles d’exposition se transforment en une succession d’espaces domestiques fictifs. Cuisine, bureau, salon, chambre d’enfant, suite parentale… chaque pièce peut se percevoir comme un portrait en creux de l’artiste qui pose un regard introspectif sur une trentaine d’années de pratique artistique.

Sur l’invitation de Pascal Pinaud, Alexandre Curtet, fondateur de Loft interior designers, a été sollicité pour concevoir l’aménagement intérieur de ces espaces en dialogue avec ses œuvres, mais aussi celles d’artistes avec lesquels ce dernier partage des affinités esthétiques, comme Noël Dolla, Mathieu Mercier, Natacha Lesueur, Philippe Ramette…







Pierre Malphettes, Paysage avec chute d’eau, Château des Adhémar, Montélimar

Exposition du 04 mars au 11 juin 2023.  CRP/ Centre régional de la photographie Hauts-de-France Place des Nations - 59282 Douchy-les-Mines. Tél. : + 33 [0]3 27 43 57 97. Entrée libre  du mardi au vendredi  de 13h à 17h, samedi, dimanche et jours fériés de 14h à 18h.

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